• Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,
    D'une si rude étreinte et d'un tel serrement,
    Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie
    Elle s'échauffera de mon enlacement.

    La mer, abondamment sur le monde étalée,
    Gardera, dans la route errante de son eau,
    Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
    Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

    Je laisserai de moi dans le pli des collines
    La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir,
    Et la cigale assise aux branches de l'épine
    Fera vibrer le cri strident de mon désir.

    Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,
    Et le gazon touffu sur le bord des fossés
    Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
    Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

     

    Comtesse Anna de Noailles


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    Déjà la vie ardente incline vers le soir,
    Respire ta jeunesse,
    Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
    De l'aube au jour qui baisse.

    Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour,
    Aux mouvements de l'onde,
    Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour,
    C'est la chose profonde ;

    Combien s'en sont allés de tous les coeurs vivants
    Au séjour solitaire,
    Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
    Des matins de la terre,

    Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils
    Aux racines des ronces,
    Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil
    Se déploie et s'enfonce !

    Ils n'ont pas répandu les essences et l'or
    Dont leurs mains étaient pleines,
    Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort
    Sans rêve et sans haleine.

    - Toi, vis, sois innombrable à force de désirs,
    De frissons et d'extase,
    Penche sur les chemins, où l'homme doit servir,
    Ton âme comme un vase ;

    Mêlée aux jeux des jours, presse contre ton sein
    La vie âpre et farouche ;
    Que la joie et l'amour chantent comme un essaim
    D'abeilles sur ta bouche.

    Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment,
    Les rives infidèles,
    Ayant donné ton coeur et ton consentement
    A la nuit éternelle...

     

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      Nature au coeur profond sur qui les cieux reposent, 

      Nul n'aura comme moi si chaudement aimé 

      La lumière des jours et la douceur des choses, 

      L'eau luisante et la terre où la vie a germé.

      L'offrande à la nature.

       

      La forêt, les étangs et les plaines fécondes 

      Ont plus touché mes yeux que les regards humains, 

      Je me suis appuyée à la beauté du monde 

      Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.

      L'offrande à la nature.

       

      J'ai porté vos soleils ainsi qu'une couronne 

      Sur mon front plein d'orgueil et de simplicité. 

      Mes jeux ont égalé les travaux de l'automne 

      Et j'ai pleuré d'amour aux bras de vos étés.

      L'offrande à la nature.

       

      Je suis venue à vous sans peur et sans prudence, 

      Vous donnant ma raison pour le bien et le mal, 

      Ayant pour toute joie et toute connaissance 

      Votre âme impétueuse aux ruses d'animal.

      L'offrande à la nature.

       

      Comme une fleur ouverte où logent des abeilles 

      Ma vie a répandu des parfums et des chants, 

      Et mon coeur matineux est comme une corbeille 

      Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.

      L'offrande à la nature.

       

      Soumise ainsi que l'onde où l'arbre se reflète 

      J'ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs 

      Et qui font naître au coeur des hommes et des bêtes 

      La belle impatience et le divin vouloir.

      L'offrande à la nature.

       

      Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature, 

      Ah ! faut-il que mes yeux s'emplissent d'ombre un jour 

      Et que j'aille au pays sans vent et sans verdure 

      Que ne visitent pas la lumière et l'amour... 

      L'offrande à la nature.

       

      Poéme de la Comtesse Anna de Noailles. 

       


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      L'innocence


      L'innocence

      Si tu veux nous ferons notre maison si belle
      Que nous y resterons les étés et l'hiver !
      Nous verrons alentour fluer l'eau qui dégèle,
      Et les arbres jaunis y redevenir verts.

      L'innocence



      Les jours harmonieux et les saisons heureuses
      Passeront sur le bord lumineux du chemin,
      Comme de beaux enfants dont les bandes rieuses
      S'enlacent en jouant et se tiennent les mains.

      L'innocence



      Un rosier montera devant notre fenêtre
      Pour baptiser le jour de rosée et d'odeur ;
      Les dociles troupeaux, qu'un enfant mène paître,
      Répandront sur les champs leur paisible candeur.

      L'innocence


      Le frivole soleil et la lune pensive
      Qui s'enroulent au tronc lisse des peupliers
      Refléteront en nous leur âme lasse ou vive
      Selon les clairs midis et les soirs familiers.

      L'innocence



      Nous ferons notre coeur si simple et si crédule
      Que les esprits charmants des contes d'autrefois
      Reviendront habiter dans les vieilles pendules
      Avec des airs secrets, affairés et courtois.

      L'innocence



      Pendant les soirs d'hiver, pour mieux sentir la flamme,
      Nous tâcherons d'avoir un peu froid tous les deux,
      Et de grandes clartés nous danseront dans l'âme
      A la lueur du bois qui semblera joyeux.

      L'innocence


      Émus de la douceur que le printemps apporte,
      Nous ferons en avril des rêves plus troublants.
      - Et l'Amour sagement jouera sur notre porte
      Et comptera les jours avec des cailloux blancs...

      L'innocence

       

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        Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)

        Recueil : Elégies


        Fleur d'enfance

        L'haleine d'une fleur sauvage,
        En passant tout près de mon coeur,
        Vient de m'emporter au rivage,
        Où naguère aussi j'étais fleur :
        Comme au fond d'un prisme où tout change,
        Où tout se relève à mes yeux,
        Je vois un enfant aux yeux d'ange :
        C'était mon petit amoureux !

        Parfum de sa neuvième année,
        Je respire encor ton pouvoir ;
        Fleur à mon enfance donnée,
        Je t'aime ! comme son miroir.
        Nos jours ont séparé leur trame,
        Mais tu me rappelles ses yeux ;
        J'y regardais flotter mon âme :
        C'était mon petit amoureux !

        De blonds cheveux en auréole,
        Un regard tout voilé d'azur,
        Une brève et tendre parole,
        Voilà son portrait jeune et pur :
        Au seuil de ma pauvre chaumière
        Quand il se sauvait de ses jeux,
        Que ma petite âme était fière ;
        C'était mon petit amoureux !

        Cette ombre qui joue à ma rive
        Et se rapproche au moindre bruit,
        Me suit, comme un filet d'eau vive,
        A travers mon sentier détruit :
        Chaste, elle me laisse autour d'elle
        Enlacer un chant douloureux ;
        Hélas ! ma seule ombre fidèle,
        C'est vous ! mon petit amoureux !

        Femme ! à qui ses lèvres timides
        Ont dit ce qu'il semblait penser,
        Au temps où nos lèvres humides
        Se rencontraient sans se presser ;
        Vous ! qui fûtes son doux Messie,
        L'avez-vous rendu bien heureux ?
        Du coeur je vous en remercie :
        C'était mon petit amoureux !

         

         

         

         

         

         


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          Bruyère en fleurs -08 - [Forêt de Sénart, Seine et Marne / Essonne] 

           

           



          La glycine est fanée et morte est l’aubépine ;
          Mais voici la saison de la bruyère en fleur
          Et par ce soir si calme et doux, le vent frôleur
          T’apporte les parfums de la pauvre Campine.

          Aime et respire-les, en songeant à son sort
          Sa terre est nue et rêche et le vent y guerroie ;
          La mare y fait ses trous, le sable en fait sa proie
          Et le peu qu’on lui laisse, elle le donne encor.

          En automne, jadis, nous avons vécu d’elle,
          De sa plaine et ses bois, de sa pluie et son ciel,
          Jusqu’en décembre où les anges de la Noël
          Traversaient sa légende avec leurs grands coups d’aile.

          Ton coeur s’y fit plus sûr, plus simple et plus humain ;
          Nous y avons aimé les gens des vieux villages,
          Et les femmes qui nous parlaient de leur grand âge
          Et de rouets déchus qu’avaient usés leurs mains.

          Notre calme maison dans la lande brumeuse
          Etait claire aux regards et facile à l’accueil,
          Son toit nous était cher et sa porte et son seuil
          Et son âtre noirci par la tourbe fumeuse.

          Quand la nuit étalait sa totale splendeur
          Sur l’innombrable et pâle et vaste somnolence,
          Nous y avons reçu des leçons du silence
          Dont notre âme jamais n’a oublié l’ardeur.

          A nous sentir plus seuls dans la plaine profonde
          Les aubes et les soirs pénétraient plus en nous ;
          Nos yeux étaient plus francs, nos coeurs étaient plus doux
          Et remplis jusqu’aux bords de la ferveur du monde.

          Nous trouvions le bonheur en ne l’exigeant pas,
          La tristesse des jours même nous était bonne
          Et le peu de soleil de cette fin d’automne
          Nous charmait d’autant plus qu’il semblait faible et las.

          La glycine est fanée, et morte est l’aubépine ;
          Mais voici la saison de la bruyère en fleur.
          Ressouviens-toi, ce soir, et laisse au vent frôleur
          T’apporter les parfums de la pauvre Campine.

           

           

          Emile Verhaeren (1855-1916) in «  Les heures du soir ».

           

           

           


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        • La fleur renvoyée

           

           

           Adieu, douce pensée, 

          Image du plaisir ! 
          Mon âme est trop blessée, 
          Tu ne peux la guérir. 
          L'espérance légère 
          De mon bonheur 
          Fut douce et passagère, 
          Comme ta fleur.

          Rien ne me fait envie, 
          Je ne veux plus te voir. 
          Je n'aime plus la vie, 
          Qu'ai-je besoin d'espoir ? 
          En ce moment d'alarme 
          Pourquoi t'offrir ? 
          Il ne faut qu'une larme 
          Pour te flétrir.

          Par toi, ce que j'adore 
          Avait surpris mon cœur ; 
          Par toi, veut-il encore 
          Égarer ma candeur ? 
          Son ivresse est passée ; 
          Mais, en retour, 
          Qu'est-ce qu'une pensée 
          Pour tant d'amour ?


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          Mon ami, quels ennuis vous donnent de l'humeur ?
          Le vivre vous chagrine et le mourir vous fâche.
          Pourtant, vous n'aurez point au monde d'autre tâche
          Que d'être objet qui vit, qui jouit et qui meurt.

          Mon âme, aimez la vie, auguste, âpre ou facile,
          Aimez tout le labeur et tout l'effort humains,
          Que la vérité soit, vivace entre vos mains,
          Une lampe toujours par vos soins pleine d'huile.

          Aimez l'oiseau, la fleur, l'odeur de la forêt,
          Le gai bourdonnement de la cité qui chante,
          Le plaisir de n'avoir pas de haine méchante,
          Pas de malicieux et ténébreux secret,

          Aimez la mort aussi, votre bonne patronne,
          Par qui votre désir de toutes. choses croît,
          Et, comme un beau jardin qui s'éveille du froid,
          Remonte dans l'azur, reverdit et fleuronne ;

          - L'hospitalière mort aux genoux reposants
          Dans la douceur desquels notre néant se pâme,
          Et qui vous bercera d'un geste, ma chère âme,
          Inconcevablement éternel et plaisant...

           

          Comtesse Anna de Noailles


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          Un pauvre petit grillon
          Caché dans l'herbe fleurie,
          Regardait un papillon
          Voltigeant dans la prairie.
          L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
          L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;
          Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs,
          Prenant et quittant les plus belles.
          Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien
          Sont différents ! Dame nature
          Pour lui fit tout, et pour moi rien.
          Je n'ai point de talent, encor moins de figure.
          Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :
          Autant vaudrait n'exister pas.
          Comme il parlait, dans la prairie
          Arrive une troupe d'enfants :
          Aussitôt les voilà courants

          Après ce papillon dont ils ont tous envie.
          Chapeaux, mouchoirs, bonnets servent à l'attraper ;
          L'insecte vainement cherche à leur échapper,
          Il devient bientôt leur conquête.
          L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;
          Un troisième survient, et le prend par la tête :
          Il ne fallait pas tant d'efforts
          Pour déchirer la pauvre bête.
          Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
          Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
          Combien je vais aimer ma retraite profonde !
          Pour vivre heureux, vivons caché.

           

           

          Fables Livre II
          Jean-Pierre Claris de FLORIAN (1755-1794)


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        • Rire ou pleurer, mais que le coeur
          Soit plein de parfums comme un vase,
          Et contienne jusqu'à l'extase
          La force vive ou la langueur.

          Avoir la douleur ou la joie,
          Pourvu que le coeur soit profond
          Comme un arbre où des ailes font
          Trembler le feuillage qui ploie ;

          S'en aller pensant ou rêvant,
          Mais que le coeur donne sa sève
          Et que l'âme chante et se lève
          Comme une vague dans le vent.

          Que le coeur s'éclaire ou se voile,
          Qu'il soit sombre ou vif tour à tour,
          Mais que son ombre et que son jour
          Aient le soleil ou les étoiles...

          Anna de Noailles


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          Recueil : Poème de l'amour (1924)

          Si je n'aimais que toi en toi
          Je guérirais de ton visage,
          Je guérirais bien de ta voix
          Qui m'émeut comme lorsqu'on voit,
          Dans le nocturne paysage,
          La lune énigmatique et sage,
          Qui nous étonne chaque fois.

          — Si c'était toi par qui je rêve,
          Toi vraiment seul, toi seulement,
          J'observerais tranquillement
          Ce clair contour, cette âme brève
          Qui te commence et qui t'achève.

          Mais à cause de nos regards,
          À cause de l'insaisissable,
          À cause de tous les hasards,
          Je suis parmi toi haute et stable
          Comme le palmier dans les sables ;

          Nous sommes désormais égaux,
          Tout nous joint, rien ne nous sépare,
          Je te choisis si je compare ;
          — C'est toi le riche et moi l'avare,
          C'est toi le chant et moi l'écho,
          Et t'ayant comblé de moi-même,
          Ô visage par qui je meurs,
          Rêves, désirs, parfums, rumeurs,
          Est-ce toi ou bien moi que j'aime ?


          Anna de Noailles.

           

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          Recueil : Poème de l'amour (1924)

          Aimer, c'est de ne mentir plus.
          Nulle ruse, n'est nécessaire
          Quand le bras chaleureux enserre
          Le corps fuyant qui nous a plu.

          Crois à ma voix qui rêve et chante
          Et qui construit ton paradis.
          Saurais-tu que je suis méchante
          Si je ne te l'avais pas dit ?

          Faiblement méchante, en pensée,
          Et pour retrouver par moment
          Cette solitude sensée
          Que j'ai reniée en t'aimant !


          Anna de Noailles.

          Aimer, c'est de ne mentir plus.

           

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        • Je ne t'aime pas pour que ton esprit 

          Puisse être autrement que tu ne peux être 

          Ton songe distrait jamais ne pénètre

          Mon cœur anxieux, dolent et surpris.

          Ne t'inquiète pas de mon hébétude,
          De ces chocs profonds, de ma demi-mort ;
          J'ai nourri mes yeux de tes attitudes,
          Mon œil a si bien mesuré ton corps,

          Que s'il me fallait mourir de toi-même,
          Défaillir un jour par excès de toi,
          Je croirais dormir du sommeil suprême
          Dans ton bras, fermé sur mon être étroit...



          Anna de Noailles.


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        • Les mots sans qu'on les craigne ont d'effrayants pouvoirs,
          Ils sont les bâtisseurs hasardeux des pensées,
          L'âme la plus puissante est parfois dépassée
          Par ces rêves actifs que l'on voit se mouvoir.

          — Laissons se balancer dans leur ombre décente
          L'excessive tristesse et l'excessif besoin !
          Confions le secret ou la hâte oppressante
          Au silence sacré qui ne les livre point.

          Un souvenir dormant cesse d'être coupable,
          Tout ce qui n'est pas dit est innocent et vrai ;
          S'il consent à garder sa face sombre et stable
          Le mensonge lui-même est un noble secret.

          Ô Vérité tentante et qu'il faut qu'on esquive,
          Monacale pudeur, effort, renoncement,
          Sainteté des torrents retenant leur eau vive,
          Solitude du cœur et de la voix qui ment !

          Tendresse de la main qui parcourt et qui lisse
          La vie atténuée et calme des cheveux,
          Tandis que le désir se prive du délice
          De déchaîner l'orage éloquent des aveux

          Résolution pure, auguste et difficile
          De n'accaparer pas l'esprit avec le corps,
          De rester étrangers, pour que le plus fragile
          Ne soit pas prisonnier de l'ineffable accord !

          Feintise d'être heureux en dehors de l'ivresse,
          Accommodation aux paisibles instants :
          Plus que les cris, les pleurs, les secours, les caresses,
          Vous êtes le mérite insondable et constant !


          Anna de Noailles


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