• Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage
    Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage,
    J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,
    Loin des chemins poudreux, à demeurer assis
    Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,
    Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.
    Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi
    Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,
    Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,
    Le puceron qui grimpe et se pende au brin d’herbe,
    La chenille traînant ses anneaux veloutés,
    La limace baveuse aux sillons argentés,
    Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.
    Ensuite je regarde, amusement frivole,
    La lumière brisant dans chacun de mes cils,
    Palissade opposée à ses rayons subtils,
    Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte
    En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ;
    Et lorsque je suis las je me laisse endormir,
    Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,
    Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,
    Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.

    Théophile Gautier, Premières Poésies

     


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  •  

     

    La Lune

    Lorsque tombe le soir et que fuit le soleil,
    Dame Lune se montre dans toute sa splendeur.
    Elle s’entoure fièrement d’un halo de lumière
    Pâle et énigmatique, la belle dame demeure.

    Elle trône, opaline, dans un ciel bleu marine
    Parsemé de mille et une étoiles argentées.
    Je rêve à la fenêtre, la regardant régner
    Sur le monde de la nuit qui fait peur et fascine.

    Comme le silence est doux, après la rude journée.
    En mon cœur apaisé monte une joie sans fin.
    Petit instant de paix, ô combien apprécié
    Après le bruit des rues, les cris des citadins.

    Tu es si loin de nous, et pourtant toute proche,
    Influençant nos vies, jouant de nos émotions,
    Nous aidant à créer, à être plus intuitifs,
    Nous rendant vulnérables, mais aussi plus actifs.

    Merci, belle dame, d’être là, telle une fée,
    Nous protégeant la nuit, le regard bienveillant.
    Tu représentes pour nous, toute la féminité
    Et nous aides à agir en êtres plus aimants.
    Anne


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  • Feuille d'automne et jeune artiste

     

    Par la brise d'automne à la forêt volée,
    Une feuille d'érable erre dans la vallée :
    Papillon fantastique aux ailes de carmin !
    Un enfant, qui folâtre au pied de la colline,
    S'élance pour saisir cette feuille divine :
    Enfin, la feuille est dans sa main.

    Ne méprisez pas, je vous prie,
    Cette feuille rouge et flétrie,
    Léger débris de la forêt :
    Dieu la chérit, puisqu'il l'a faite !
    Pour cet enfant déjà poète,
    Cette feuille - pour nous muette -
    Porte du beau quelque reflet.

    Et l'enfant tient sa feuille, et son grand oeil rayonne.
    Il contemple longtemps cette feuille d'automne :
    Elle a des couleurs d'or, et des lignes de feu.
    Le froid l'a fait mourir, et le vent dans la plaine
    Depuis le point du jour sans pitié la promène :
    Mais c'est encor l'oeuvre de Dieu !

    Ne méprisez pas, je vous prie,
    Cette feuille rouge et flétrie,
    Léger debris de la forêt :
    Dieu vainement ne l'a pas faite !
    Pour cet enfant déjà poète,
    Cette feuille - pour nous muette -
    Porte du beau quelque reflet.

    De ses légers ciseaux, la nature avec grâce
    A découpé la feuille, et, d'espace en espace,
    L'oiseau l'a, dans les bois, sculptée à sa façon.
    Dans sa feuille, l'enfant voit des fleurs, voit des anges, -
    Comme il verra, ce soir, des fantômes étranges
    Dans le nuage à l'horizon !

    Bonheur à toi, feuille flétrie,
    Qui ce matin dans la prairie
    Au gré du vent errais encor :
    Car, grâce à toi, feuille éclatante,
    D'un enfant que ta vue enchante
    L'imagination riante
    Vient d'entrouvrir ses ailes d'or !

    Un doux bruissement de la feuille froissée
    Fait monter à son front une amère pensée :
    L'enfant devient rêveur.- Dans un petit cercueil,
    Un jour - ainsi craquaient les feuilles dans la plaine -
    Il vit porter sa soeur là-bas, près d'un grand chêne...
    Et quelques pleurs voilent son oeil.

    Bonheur à toi, feuille bénie,
    Qui ce matin rouge et flétrie,
    Prenais ton vol dans la forêt :
    Pauvre feuille sèche et sonore,
    Chez un enfant tu fais éclore
    Deux plaisirs que le coeur adore :
    Le souvenir, et le regret !

    Laissez croître l'enfant, et ce sera peut-être,
    Peintre ou musicien, dans l'art quelque grand maître -
    A l'orage trouvant de sublimes accords,
    Donnant une âme à tout, au soleil, à la brise, -
    Aux voix du soir, au bruit du torrent qui se brise, -
    Prêtant l'oreille avec transports !

    Et maintenant, feuille flétrie,
    Dans la forêt, dans la prairie
    L'aile du vent peut t'emporter :
    Dieu vainement ne t'a pas faite !
    Car, grâce à toi, feuille muette,
    Chez un enfant déjà poète
    Le feu divin vient d'éclater !

    C'est un artiste en fleur que cet enfant étrange :
    Peut-être sera-t-il Van Dick, ou Michel-Ange -
    Faisant fleurir l'ivoire ou sourire l'airain.
    Un jour peut-être, au front de quelque basilique,
    Le marbre imitera, sous son ciseau magique,
    La feuille qu'il tient dans sa main !

    Et maintenant, feuille bénie,
    Dans la forêt, dans la prairie,
    L'aile du vent peut t'emporter !
    Envole-toi joyeuse et fière :
    Car, grâce à toi, feuille légère,
    L'amour du beau, tendre mystère,
    Chez un enfant vient d'éclater !

     

    • Apollinaire GINGRAS (1847-1935)

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  •  

    Captif de l’hiver dans ma chambre
    Et las de tant d’espoirs menteurs,
    Je vois dans un ciel de novembre,
    Partir les derniers migrateurs.
    Ils souffrent bien sous cette pluie ;
    Mais, au pays ensoleillé,
    Je songe qu’un rayon essuie
    Et réchauffe l’oiseau mouillé.
    Mon âme est comme une fauvette
    Triste sous un ciel pluvieux ;
    Le soleil dont sa joie est faite
    Est le regard de deux beaux yeux ;
    Mais loin d’eux elle est exilée ;
    Et, plus que ces oiseaux, martyr,
    Je ne puis prendre ma volée
    Et n’ai pas le droit de partir.
     
    François Coppée
     
     
     
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  • Le 1er novembre :
    Tonnerre en novembre fait prospérer le blé, et remplit le grenier.
    À la Toussaint, commence l'été de la Saint-Martin.
    Vent de Toussaint, terreur de marin.
    Suivant le temps de la Toussaint, l'hiver sera ou non malsain.
    Brumes en novembre, Noël en décembre.
    Hiver trop beau, été sans eau.
    Le bon semer est quinze jours avant Toussaint, et quinze jours après.
    Telle Toussaint tel Noël, et Pâques pareil.
    Autant d'heures de soleil à la Toussaint, autant de semaines à souffler dans tes mains.
    Été de la Saint-Martin, dure trois jours et un brin.
    En novembre s'il tonne, l'année sera bonne.

    Le 2 novembre :
    Novembre, Toussaint le commande, Saint-André le voit descendre.
    Novembre est le jour des morts, si tu ne veux pas mourir encore, habille-toi plus fort.

    Le 3 novembre :
    Brouillard en Novembre, l'hiver sera tendre.
    À la Saint-Hubert, les oies sauvages fuient l'hiver.

    Le 4 novembre :
    La Toussaint venue, rentre la charrue.
    À la Saint-Charles, la gelée parle.

    Le 5 novembre :
    Le cinq tu sauras, quel mois tu auras.

    Le 6 novembre :
    À la Sainte-Mélanie de la pluie n'en veux mie.
    Quand en novembre il a tonné, l'hiver est avorté.
    Quand en novembre tu entends la grive chanter ;
    Rentre à la maison pour t'abriter et du bois pour te chauffer.

    Le 7 novembre :
    À la saint Florent il fait bon de semer le froment, mais il ne faut pas perdre de temps.
    À la Saint-Ernest, abats les pommes qui te restent.

    Le 8 novembre :
    Grand soleil petit vent, petit soleil grand vent.
    Temps couvert à la Saint-Geoffroy, amène trois jours de froid.

    Le 9 novembre :
    Quand en automne il a tonné, l'hiver est avorté.
    Orage de la Saint-Théodore, annonce une année en or.
    La Saint-Mathurin, des fruits rouges c'est la fin.

    Le 10 novembre :
    Soleil rouge le matin, fait trembler le marin.
    À la Saint-Léon, mets tes artichauts en monts.

    Le 11 novembre :
    Saint-Martin, Saint-Tourmentin.
    Le temps du jour de Saint-Martin, est de l'hiver le temps commun.
    Si le vent du sud souffle pour la Saint-Martin, l'hiver ne sera pas coquin.
    Quand Saint-Martin amène le vent d'autan, cela dure six mois par an.
    À la Saint-Martin tire ton vin, Saint-Martin le met en chemin.
    Quand Saint-Martin amène le vent d'autan, cela dure six mois par an.
    À la Saint-Martin bois le vin, et laisse l'eau au moulin.
    Et s'il trouve quelque encombrée, vous l'aurez à la Saint-André.
    À la Saint-Martin l'hiver est en chemin, manchons aux bras et gants aux mains.

    Le 12 novembre :
    Temps sanguin, annonce pluie du lendemain.

    Le 13 novembre :
    À la Saint-Brice le temps, sera celui du jour de l'An.

    Le 14 novembre :
    Si en novembre il tonne, l'année suivante sera bonne.

    Le 15 novembre :
    À la saint Léopold, couvre-toi les épaules.
    En novembre fou engendre, en août gît sa femme.

    Le 16 novembre :
    À la Saint Matthieu les jours sont égaux aux nuits dans leur cours.
    Quand vient Saint Matthieu, adieu l'été.
    Brouillard en novembre, l'hiver sera tendre.

    Le 17 novembre :
    À la Sainte-élizabeth, tout ce qui porte fourrure n'est point bête.
    Sainte-Elisabeth nous montre quel bonhomme l'hiver sera.
    À la mi-novembre passée, il peut venter et neiger à souhait.
    Quand il gèle en novembre, adieu l'herbe tendre.

    Le 18 novembre :
    Gelée de novembre, adieu l'herbe tendre.

    Le 19 novembre :
    À la Saint-Tanguy, le temps est toujours gris.
    Sainte-Elisabeth nous montre quel bonhomme sera l'hiver.
    À la Saint-Tanguy, jamais vent ne languit.

    Le 20 novembre :
    Entre la Toussaint et l'Avent, attends-toi à pluie et vent.
    Saint-Félix et la Présentation amènent le froid pour de bon.

    Le 21 novembre :
    Quelque temps qu'il fasse en novembre, commence le feu dans la chambre.

    Le 22 novembre :
    Pour Sainte-Cécile, chaque haricot en fait mille.
    Pour Sainte-Cécile, chaque fève en fait mille.

    Le 23 novembre :
    Quand l'hiver vient doucement, il est là à la Saint-Clément.
    Saint-Clément montre rarement visage avenant.

    Le 24 novembre :
    À la Sainte-Flora, plus rien ne fleurira.

    Le 25 novembre :
    Quand Sainte-Catherine au ciel fait la moue, il faut patauger longtemps dans la boue.
    À la Sainte-Catherine, tout arbre prend racine.
    Pour Sainte-Catherine, tout bois prend racine.
    À la Sainte-Catherine, pour tout l'hiver fait ta farine.
    Pour Sainte-Catherine, le porc couine.
    À la Sainte-Catherine, les sardines tournent l'échine, à la Sainte-Blaise elles reparaissent.
    Sainte-Catherine toute fille veut la fêter, mais point ne veut la coiffer.
    À la Sainte-Catherine, l'hiver s'achemine ; s'il fait froid, hiver tout droit.

    Le 26 novembre :
    À la Sainte-Delphine, mets ton manteau à pèlerine.

    Le 27 novembre :
    À la Saint-Séverin, chauffe tes reins.
    Quand en novembre, la pluie noie la terre, ce sera du bien pour tout l'hiver.

    Le 28 novembre :
    À la Saint-Sosthène, il y a des chrysanthèmes.
    À la Saint-Sosthène, les poules sur le chemin ne trouvent plus de graines.
    S'il neige à la Saint-Hilaire, il fera froid tout l'hiver.

    Le 29 novembre :
    À la Saint-Saturnin, l'hiver est pour demain.

    Le 30 novembre :
    À la Saint-André, l'hiver dit : Me voici !
    Neige de Saint-André, peut cent jours durer.
    Quand l'hiver n'est pas pressé, il arrive à la Saint-André.
    Pour Saint-André, l'hiver est vite ici.
    La neige de Saint-André, menace cent jours de durer.


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  • Le silence, de Évariste Boulay-Paty (1851)



     

    Le silence.

    Recueil : Sonnets (1851)

    Le silence dans l'homme est une dignité ;
    C'est un beau vêtement, c'est une noble chose ;
    L'esprit qui parle peu fait désirer qu'il cause,
    Et le sot qui se tait cache sa nullité.

    On connaît trop celui qu'on a trop écouté ;
    Riche, il devient prodigue, et bientôt indispose ;
    Un mot dit à propos de lèvre souvent close
    Est comme le bienfait d'un homme respecté.

    Tournons sept fois la langue (oh ! le proverbe est sage),
    Avant que la pensée au jour trouve un passage ;
    Le mot n'est pas repris, une fois envolé.

    Que la réflexion tienne en nous sa balance !
    On regrette, et trop tard, souvent, d'avoir parlé,
    Mais on ne se repent jamais de son silence.


    Évariste Boulay-Paty.
     
     
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  • Le cauchemar des deux mères... (Eugène Manuel 1823-1902)

     


    J'ai vu, dans un rêve attristé, 
    Deux chaumières presque pareilles, 
    Et deux voix dans l'obscurité, 
    Plaintives, qui frappaient mes oreilles.
    2. 
    Chaque maison était cachée 
    Dans un de ces vallons prospère 
    D'où la guerre avait arraché 
    Bien des enfants et bien des pères ...
    3. 
    La neige posait lentement 
    Ses flocons sur les branches mortes ; 
    La bise au long gémissement 
    Pleurait par les fentes des portes.
    4. 
    Les deux foyers se ressemblaient, 
    Et devant le feu des broussailles, 
    Deux mères, dont les doigts tremblaient 
    Songeaient aux lointaines batailles.
    5. 
    Leur esprit voyageait là-bas : 
    Point de lettre qui les rassure ! 
    Quand les enfants sont au combat ! 
    Pour les mères tout est blessure !
    6. 
    L'une comme l'autre invoquaient le ciel 
    Priant dans sa langue ou la nôtre : 
    Mein Kind ! mein Kind " O vie cruelle ! 
    Mon fils ! Mon fils " murmurait l'autre.
    7. 
    Et j'entendais, au même instant, 
    Sur un affreux champ de carnage, 
    Contre la souffrance luttant, 
    Gémir deux enfants du même âge
    8. 
    Les deux soldats se ressemblaient, 
    Mourant quand il fait bon vivre ; 
    Et leurs pauvres membres tremblaient, 
    Bleuis par la bise et le givre.
    9. 
    Ils s'éteignaient dans un ravin, 
    En proie aux angoisses dernières ; 
    Leurs yeux de loin suivaient de loin en vain 
    La longue file des civières.
    10. 
    Etrange réveil du passé, 
    Qui précède l'adieu suprême, 
    Evoquant pour chaque blessé 
    La vision de ce qu'il aime ;
    11. 
    Et ces deux âmes, à l'heure sacrée 
    Où la mort, en passant, vous touche 
    Jetaient l'appel désespéré ! 
    Que les petits ont à la bouche
    12. 
    Les yeux remplis de souvenirs 
    Une main sur la plaie grande ouverte 
    Comme s'ils sentaient le froid venir 
    Dans la grande plaine déserte :
    " Mutter !... Mutter ! ... ( Mère ) 
    Komm doch bei mir ( Viens, près de moi ! ): 

    " Maman !... Maman ! (Implorait l'autre enfant ) 
    - Viens, je vais mourir !

     

    (Poésie II, Pendant la Guerre)


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  • Le dormeur du Val - (Arthur Rimbaud 1854-1891)

     

    C'est un trou de verdure où chante une rivière
    Accrochant follement aux herbes des haillons
    D'argent ; où le soleil de la montagne fière,
    Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
    Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
    Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
    Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
    Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
    Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
    Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
    Nature, berce-le chaudement : il a froid.
    Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
    Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
    Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

     

     


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  • Après la bataille (Victor Hugo)

     

    Mon père, ce héros au sourire si doux,
    Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
    Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
    Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
    Les champs couverts de morts sur qui tombait la nuit.
    Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit,
    C'était un espagnol de l'armée en déroute
    Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
    Râlant, brisé, livide et mort plus qu'à moitié,
    Et qui disait : A boire, à boire par pitié !
    Mon père ému, tendit à son housard fidèle
    Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
    Et dit : Tiens donne à boire à ce pauvre blessé
    Tout à coup, au moment où le housard baissé
    Se penchait vers lui, l'homme une espèce de Maure,
    Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
    Et vise au front mon père en criant " Caramba " !
    Le coup passa si près que le chapeau tomba
    Et que le cheval fit un écart en arrière,
    - Donne-lui quand même à boire, dit mon père
    .

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  • Waterloo - avant la bataille J. Cl. Brinette

     

    C'est une histoire banale qui a déjà eu lieu des millions de fois …

    Des hommes qui jouent au soldat pour tuer un ennemi qu'il n'ont jamais vu !!

     

    C'est un pays plein de verdure, avec quelques arbres parsemés de maisons isolées

    Sur le terrain on aperçoit une foule de soldats debout en uniformes d'époque.

    Certains sont très jeunes, d'autres sont plus âgés avec une barbe imposante

    Tous tiennent en mains un fusil et attendent on ne sait pas quoi ?

     

    Soudain arrive au galop un homme casqué sur un cheval

    Il crie d'une voix haute " l'ennemi est en face, c'est pour demain matin "

    Montez le campement pour la nuit et faites boire les hommes et les bêtes

    Une ration de pain et une timbale de tambouille pour chacun.

     

    Le soleil s'enfonçait dans la ligne d'horizon, il était tout rouge ce soir…

    Sinistre présage pour ceux qui ne croyaient pas tellement en la victoire !

    Un jeune homme de 16 ans est assis à côté d'un homme âgé aux cheveux gris

    Le vieil homme n'a pas faim et il a déjà participé à de nombreuses batailles,

    Mais le temps a toujours guéri ses blessures et pour une maigre solde

    Il pense qu'il a eu de la chance de s'en sortir et espère comme par le passé

    Que son étoile le protégera et que ce sera (peut-être) la dernière bataille …

     

    Il regarde la maison sur le flanc du vallon, elle ressemble à la sienne

    Mais il est seul et il sait que la sienne n'a plus de feu, ni de lumière

     

    - Eh petit regarde tu vois cette maison, j'en avais une pareille

    Avec une femme, des bêtes plein la basse-cour et des champs remplis de blés

    Mais un matin ils sont venus, ils ont tout brûlé , violé et tué ma fille et ma femme

    Puis après avoir pris tout ce qu'ils pouvaient emporter, ils y ont mis le feu…

     

    Un long silence et quelques larmes coulèrent sur les joues de l'homme

    Quand je suis rentré des champs il n'y avait plus de maison, ni de famille

    Depuis je me suis enrôlé pour me faire justice, mais ceux qui nous gouvernent

    Ont changé d'adversaires, ils sont devenus nos alliés et on a un nouvel ennemi

     

    Regarde ces cicatrices, on dirait une carte avec des fleuves à la gloire de l'empereur

    On a marché des milliers de kilomètres , traîné des canons dans la boue et la glace

    Tiré des chariots rempli de blessés et ruisselants de sang et de lambeaux…

    Mais ce n'est pas fini, l'Aigle est insatiable et voudrait posséder toute l'Europe

    Mais l'Europe le dévorera sinon personne n'arrêtera cette folie jusqu'à ce que tout soit accompli,

    nous, nous sommes les ombres survivantes du passé, mes amis

    les plus vieux compagnons sont morts en Espagne, mais toi mon ami que fais-tu ici ?

     

    Le jeune homme lève les yeux au ciel,

    - OUI ils sont venus et au nom de l'empereur ils ont enrôlés de force tous les jeunes de mon âge,

    ma mère était folle de chagrin, mais ils ont continué, ils les ont tous trouvé :

    - on m'a enrôlé pour quelques pièces, on a pris nos chevaux et nos poules

    ma mère est seule et pleure après mon père qui n'est pas revenu de Russie.

    Tu vois je n'ai pas plus de chances que toi, passe moi ta gourde d'eau de vie

    - Tu perds pas le nord moussaillon, mais je crois que tu en as autant besoin que moi

    Tiens prends aussi ma ration de viande, je n'en mange plus depuis longtemps.

     

    La nuit venait de tomber et au loin on entendait des bruits de métal et de tambours mêlés aux galops des

    chevaux qui prenaient position sur la colline voisine. La lune montait dans ce beau ciel de juin,

    elle était comme une dame blanche qui voulait revoir ses enfants une dernière fois.

    Les hommes s'étaient rassemblés autour des feux de camps qui illuminaient la campagne

    Et les chevaux mangeaient leur sac d'avoine à côté des canons

     

    Le vieil homme s'enroula dans son sac de voyage et le jeune homme vint se coucher près de lui deux heures plus tard.

    Le grognard ne dormait pas, il avait les yeux grands ouverts et son esprit voyageait sur les anciens champs de bataille,

    il revoyait ses camarades et leur fin misérable, il revoyait les ruisseaux de sang, les bêtes agonisantes que personne

    n'avait le courage d'abattre, les morts et les blessés entremêlés l'un sur l'autre quelque soit leur uniforme…

     

    - Dis petit si jamais il m'arrivait une bricole demain - là dans ma musette il y une poignée de pièces d'or

    autrichienne que je traîne de ville en ville dans l'espoir de rentrer un jour au pays. Si je tombe tu les prendras,

    ce sera comme un cadeau de mariage qui t'aidera à faire un bout de chemin avec une femme de ton âge.

     

    Je crois bien que c'est la dernière bataille de l'Aigle - Je ferais mon possible pour te protéger alors

    reste près de moi quand les boulets voleront et qu'ils arriveront avec leurs milliers de fusils et de baïonnettes.

    Plus tard tu feras une prière de temps en temps pour moi quand je serais arrivé là-haut, d'ailleurs j'espère

    que St Pierre m'ouvrira sa porte et me trouvera un coin pour reposer ma tête, qui sait si là-haut il n'y a pas de bon lit

    avec des bons draps et des anges pour soulager les blessures du cœur ?

     

    Une vie çà ne tiens pas à grand chose, elle ne tiens souvent qu'à quelques centimètres, un pas ou une seconde…

    Une vie çà passe aussi rapidement qu'une étoile filante - çà brille et çà disparaît

     

    Il y a 20 ans de cela la France était devenu un pays où régnait la Terreur

    La folie avait envahi la raison et le cœur des hommes

    Si tu avais vu les gens les plus riches croupir dans des prisons

    Des gens à qui on ne pouvait même pas parler avec un chapeau sur la tête :

    Des barons en fine chemise, des princes, des députés, des moines, des sœurs,

    Des évêques et des prêtres qui refusaient la nouvelle religion de la nature,

    Tous ont été traînés au travers des villes sur des charrettes jusqu'à l'échafaud !

    Que de sang versé pour rien ! mais les nobles sont vite revenus de l'étranger

    Pour reprendre leur château, leurs terres et leur privilèges…

     

    Avec l'Empereur nous avons eu quelques victoires, mais aussi de grands désastres

    Des champs de batailles couverts de morts et en Espagne nos plus vieux soldats ont été assassinés

    froidement dans le dos ou ils sont morts dans des embuscades maudites.

     

    Je ne te parle pas de la campagne de Russie, d'une retraite où nos morts ont été enterrés

    dans la glace et du retour de milliers de blessés survivants amputés, agonisants sur des chariots

    dans des trajets qui ont durés plusieurs mois !

    Non je ne veux pas t'enlever ton courage car demain tu auras besoin de toutes tes forces,

    la guerre n'est pas un jeu, mais une boucherie géante avec des canons, des fusils qui font tomber des hommes

    par milliers sur chaque champ de bataille….

     

    Nous sommes sur terre pour souffrir, c'est la volonté des hommes qui nous commandent,

    mais pour gagner le ciel comme disait le curé qui m'a baptisé :

    Ce n'est pas ceux qui disent ; Seigneur- Seigneur qui iront au ciel

    Mais tous ceux qui ont un cœur charitable et qui ont fait la volonté du Bon Dieu

     

    Dors maintenant ou essaie de dormir ! Je suis prêt de toi, je veille s'il y a une alerte,

    Tu aurais pu être mon gendre si les temps n'avaient pas été aussi cruels

    Ma fille avait ton âge et je l'aimais tendrement.

     

    Waterloo - après la bataille

     

    Le bruit des canons s'était arrêté ; un spectacle désolant recouvrait la plaine,

    Le vent emportait les odeurs de bêtes mortes et de cadavres déchiquetés.

    Soudain au cœur du combat le jeune homme reçu la pointe d'une baïonnette dans son épaule droite,

    il tomba en un bloc et un flot de sang inonda sa poitrine.

     

    Le vieil homme avait constaté la blessure de son compagnon blessé à l'épaule et comme celui-ci perdait

    beaucoup de sang, il avait mis son mouchoir de toile dans la plaie. Penché à genoux devant le corps évanoui,

    soudain une balle perdue venue d'en face le frappa également en pleine tête et l'emporta dans l'autre monde.

    Son corps tomba sans vie sur celui du jeune homme.…

    De nombreux soldats ennemis passèrent , mais ils ne remarquèrent même pas que le jeune homme

    avait seulement perdu connaissance mais que son cœur battait encore.

     

     

    Au bout d'une heure il se réveilla et comme il ne pouvait soulever le corps du vieil

    homme mort, il prit sa sacoche et la serra entre ses deux bras. Des infirmiers courraient

    avec des brancards et ils vidaient les blessés dans les chariots qui devaient les conduire

    à l'hôpital de campagne. Soudain l'un d'eux entendit les gémissements du jeune homme

    qui appelait à l'aide. Deux soldats s'approchèrent et dégagèrent le corps du vieil homme mort

    couché sur le blessé et emportèrent celui qui vivait encore sous la tente du chirurgien de campagne.

     

    En cours de route les brancardiers lui dirent en rigolant :

    - Dis donc ton copain t'a probablement sauvé la vie, tu lui dois une fière chandelle.

     

    Avec le temps le jeune homme finit par guérir, à part que sa main droite resta

    longtemps un peu plus raide que la gauche. Il était alsacien et il se maria au printemps

    dans un petit village entouré de sapins, et de ruches d'abeilles, c'était au temps

    des lilas et son cœur avait conquis une charmante jeune fille de son âge qui lui donna de

    beaux enfants. La paix était revenue pour cinquante ans au moins …

     

    La Providence en a décidé ainsi, mais souvent lorsque passe une belle étoile filante

    dans le ciel dégagé de l'été, il repense à son ami qui lui a fait le plus cadeau du

    monde : celui de vivre sa jeunesse et de traverser la tempête d'une sale époque où

     

    beaucoup ne sont hélas " jamais revenus.. "


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  • Monsieur le Président je vous fais une lettre
    Que vous lirez peut-être
    Si vous avez le temps
    Je viens de recevoir
    Mes papiers militaires
    Pour partir à la guerre
    Avant mercredi soir
    Monsieur le Président
    je ne veux pas la faire
    je ne suis pas sur terre
    Pour tuer des pauvres gens
    C’est pas pour vous fâcher
    Il faut que je vous dise
    Ma décision est prise
    je m’en vais déserter

    Depuis que je suis né
    J’ai vu mourir mon père
    J’ai vu partir mes frères
    Et pleurer mes enfants
    Ma mère a tant souffert
    Qu’elle est dedans sa tombe
    Et se moque des bombes
    Et se moque des vers
    Quand j’étais prisonnier
    On m’a volé ma femme
    On m’a volé mon âme
    Et tout mon cher passé
    Demain de bon matin
    Je fermerai ma porte
    Au nez des années mortes
    J’irai sur les chemins

    Je mendierai ma vie
    Sur les routes de France
    De Bretagne en Provence
    Et je dirai aux gens
    Refusez d’obéir
    Refusez de la faire
    N’allez pas à la guerre
    Refusez de partir
    S’il faut donner son sang
    Allez donner le vôtre
    Vous êtes bon apôtre
    Monsieur le Président
    Si vous me poursuivez
    Prévenez vos gendarmes
    Que je n’aurai pas d’armes
    Et qu’ils pourront tirer.

    Boris Vian (1920 - 1959)


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  • Fleur au fusil tambour battant il va
    Il a vingt ans un cœur d'amant qui bat
    Un adjudant pour surveiller ses pas
    Et son barda contre ses flancs qui bat
    Quand un soldat s'en va-t-en guerre il a
    Dans sa musette son bâton d'maréchal
    Quand un soldat revient de guerre il a
    Dans sa musette un peu de linge sale

    Partir pour mourir un peu
    A la guerre à la guerre
    C'est un drôle de petit jeu
    Qui n'va guère aux amoureux
    Pourtant c'est presque toujours

     


    Quand revient l'été
    Qu'il faut s'en aller
    Le ciel regarde partir
    Ceux qui vont mourir
    Au pas cadencé
    Des hommes il en faut toujours
    Car la guerre car la guerre
    Se fout des serments d'amour
    Elle n'aime que l'son du tambour

    Quand un soldat s'en va-t-en guerre il a
    Des tas de chansons et des fleurs sous ses pas
    Quand un soldat revient de guerre il a
    Simplement eu d'la veine et puis voilà...

    Francis Lemarque

     

     


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  •  

     Monsieur Prudhomme est un veau 

    Qui s'enrhume du cerveau 

    Au moindre vent frais qui souffle. 

    Prudhomme, c'est la pantoufle 

    Qu'un roi met sous ses talons 

    Pour marcher à reculons.

     

    Je fais la chansonnette,

    Faites le rigodon. 

    Ramponneau, Ramponnette, don ! 

    Ramponneau, Ramponnette !

     

    Ce Prudhomme est un grimaud 

    Qui prend sa pendule au mot 

    Chaque fois qu'elle retarde. 

    Il contresigne en bâtarde 

    Coups d'état, décrets, traités, 

    Et toutes les lâchetés.

     

    Je fais la chansonnette,

    Faites le rigodon. 

    Ramponneau, Ramponnette, don !

    Ramponneau, Ramponnette !

     

    Il enseigne à ses marmots 

    Comment on rit de nos maux ; 

    Pour lui, le peuple et la France, 

    La liberté, l'espérance,

    L'homme et Dieu, sont au-dessous 

    D'une pièce de cent sous.

     

    Je fais la chansonnette, 

    Faites le rigodon. 

    Ramponneau, Ramponnette, don !

    Ramponneau, Ramponnette !

     

    Le Prudhomme a des regrets ; 

    Il pleure sur le progrès, 

    Sur ses loyers qu'on effleure, 

    Sur les rois, fiacres à l'heure, 

    Sur sa caisse, et sur la fin 

    Du monde où l'on avait faim.

     

    Je fais la chansonnette, 

    Faites le rigodon. 

    Ramponneau, Ramponnette, don ! 

    Ramponneau, Ramponnette !

     

     

    Victor Hugo 


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  •  

    Le Bourdaloue : C'est un pot de chambre de forme oblongue avec au centre, un petit étranglement caractéristique, en porcelaine (ou en en tôle émaillée) et doté d'une seule anse(2). L'origine du mot vient de la cour de Louis XIV où dans la chapelle royale, l'abbé Louis Bourdaloue (1632-1704), prédicateur jésuite avait l'habitude de faire des prêches interminables. Les femmes vêtues de robes longues et amples, emportaient en cachette leur bourdaloue, le glissaient sous leur jupon, écartaient les jambes (il n'y avait pas de culotte à cette époque) et pissaient en plein prêche ! Le mot est utilisé aussi en chapellerie (ruban du chapeau) et en pâtisserie (tarte aux poires avec de la crème d'amandes... hum miam miam le bourdaloue...)

     

    mon bourdaloue

     

     

     

    pour Mimi 

     

     

    la tarte bourdaloue


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  • Ce mercredi chez moi.

    Ce mercredi chez moi.

    Ce mercredi chez moi.

    Ce mercredi chez moi.

     

    Ce mercredi chez moi.

    Ce mercredi chez moi.

     

     

    A la fête du potiron
    Sauterelles et limaçons
    Ont accordé les violons
    Les flûtes et les tympanons
    Pour danser le rigodon.

    Craquez, sautez, jolis marrons
    Dansez, truffes et champignons
    Coloquintes, pâtissons
    Citrouilles et potimarrons
    Tournez, tournez tous en rond

    A la fête du potiron
    Sauterelles et limaçons
    Ont accordé les violons
    Les flûtes et les tympanons
    Pour danser le rigodon.

     

    Marie Josée Keller

     


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  •  

    John William Waterhouse: The Lady of Shalott [on boat] - 1888

    Ne te figure pas, ma belle,
    Que les bois soient pleins d'innocents.
    La feuille s'émeut comme l'aile
    Dans les noirs taillis frémissants ;

    L'innocence que tu supposes
    Aux chers petits oiseaux bénis
    N'empêche pas les douces choses
    Que Dieu veut et que font les nids.

    Les imiter serait mon rêve ;
    Je baise en songe ton bras blanc ;
    Commence ! dit l'Aurore. - Achève !
    Dit l'étoile. Et je suis tremblant.

    Toutes les mauvaises pensées,
    Les oiseaux les ont, je les ai,
    Et par les forêts insensées
    Notre coeur n'est point apaisé.


    Quand je dis mauvaises pensées
    Tu souris... - L'ombre est pleine d'yeux,
    Vois, les fleurs semblent caressées
    Par quelqu'un dans les bois joyeux. -

    Viens ! l'heure passe. Aimons-nous vite !
    Ton coeur, à qui l'amour fait peur,
    Ne sait s'il cherche ou s'il évite
    Ce démon dupe, ange trompeur.

    En attendant, viens au bois sombre.
    Soit. N'accorde aucune faveur.
    Derrière toi, marchant dans l'ombre,
    Le poëte sera rêveur ;

    Et le faune, qui se dérobe,
    Regardera du fond des eaux
    Quand tu relèveras ta robe
    Pour enjamber les clairs ruisseaux.

    A Naiad, John William Waterhouse 

    Victor Hugo


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  • Quelques photos prises à coté  de chez moi dimanche au chateau de Vincennes


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    Photos prises hier au lac de Saint Mandé dans le bois de Vincennes à vingt mètres de chez moi.

    Photos prises hier au lac de Saint Mandé dans le bois de Vincennes à vingt mètres de chez moi.

    Photos prises hier au lac de Saint Mandé dans le bois de Vincennes à vingt mètres de chez moi.

    Photos prises hier au lac de Saint Mandé dans le bois de Vincennes à vingt mètres de chez moi.

    Photos prises hier au lac de Saint Mandé dans le bois de Vincennes à vingt mètres de chez moi.

     Northern saw-whet owl (Fred Kellerman)

    Photos prises hier au lac de Saint Mandé dans le bois de Vincennes à vingt mètres de chez moi.


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  • Ami, cache ta vie et répands ton esprit.

    Un tertre, où le gazon diversement fleurit ;
    Des ravins où l'on voit grimper les chèvres blanches ;
    Un vallon, abrité sous un réseau de branches
    Pleines de nids d'oiseaux, de murmures, de voix,
    Qu'un vent joyeux remue, et d'où tombe parfois,
    Comme un sequin jeté par une main distraite,
    Un rayon de soleil dans ton âme secrète ;
    Quelques rocs, par Dieu même arrangés savamment
    Pour faire des échos au fond du bois dormant ;
    Voilà ce qu'il te faut pour séjour, pour demeure !
    C'est là, - que ta maison chante, aime, rie ou pleure,
    Qu'il faut vivre, enfouir ton toit, borner tes jours,
    Envoyant un soupir à peine aux antres sourds,
    Mirant dans ta pensée intérieure et sombre
    La vie obscure et douce et les heures sans nombre,
    Bon d'ailleurs, et tournant, sans trouble ni remords,
    Ton coeur vers les enfants, ton âme vers les morts !
    Et puis, en même temps, au hasard, par le monde,
    Suivant sa fantaisie auguste et vagabonde,
    Loin de toi, par delà ton horizon vermeil,
    Laisse ta poésie aller en plein soleil !
    Dans les rauques cités, dans les champs taciturnes,
    Effleurée en passant des lèvres et des urnes,
    Laisse-la s'épancher, cristal jamais terni,
    Et fuir, roulant toujours vers Dieu, gouffre infini,
    Calme et pure, à travers les âmes fécondées,
    Un immense courant de rêves et d'idées,
    Qui recueille en passant, dans son flot solennel,
    Toute eau qui sort de terre ou qui descend du ciel !
    Toi, sois heureux dans l'ombre. En ta vie ignorée,
    Dans ta tranquillité vénérable et sacrée,
    Reste réfugié, penseur mystérieux !
    Et que le voyageur malade et sérieux
    Puisse, si le hasard l'amène en ta retraite,
    Puiser en toi la paix, l'espérance discrète,
    L'oubli de la fatigue et l'oubli du danger,
    Et boire à ton esprit limpide, sans songer
    Que, là-bas, tout un peuple aux mêmes eaux s'abreuve.

    Sois petit comme source et sois grand comme fleuve.

    le 26 avril 1839.


    Victor Hugo.


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