• Trois ans après

    Il est temps que je me repose ;
    Je suis terrassé par le sort.
    Ne me parlez pas d'autre chose
    Que des ténèbres où l'on dort !

    Que veut-on que je recommence ?
    Je ne demande désormais
    A la création immense
    Qu'un peu de silence et de paix !

    Pourquoi m'appelez-vous encore ?
    J'ai fait ma tâche et mon devoir.
    Qui travaillait avant l'aurore,
    Peut s'en aller avant le soir.

    A vingt ans, deuil et solitude !
    Mes yeux, baissés vers le gazon,
    Perdirent la douce habitude
    De voir ma mère à la maison.

    Elle nous quitta pour la tombe ;
    Et vous savez bien qu'aujourd'hui
    Je cherche, en cette nuit qui tombe,
    Un autre ange qui s'est enfui !

    Vous savez que je désespère,
    Que ma force en vain se défend,
    Et que je souffre comme père,
    Moi qui souffris tant comme enfant !

    Mon oeuvre n'est pas terminée,
    Dites-vous. Comme Adam banni,
    Je regarde ma destinée,
    Et je vois bien que j'ai fini.

    L'humble enfant que Dieu m'a ravie
    Rien qu'en m'aimant savait m'aider ;
    C'était le bonheur de ma vie
    De voir ses yeux me regarder.

    Si ce Dieu n'a pas voulu clore
    L'oeuvre qu'il me fit commencer,
    S'il veut que je travaille encore,
    Il n'avait qu'à me la laisser !

    Il n'avait qu'à me laisser vivre
    Avec ma fille à mes côtés,
    Dans cette extase où je m'enivre
    De mystérieuses clartés !

    Ces clartés, jour d'une autre sphère,
    Ô Dieu jaloux, tu nous les vends !
    Pourquoi m'as-tu pris la lumière
    Que j'avais parmi les vivants ?

    As-tu donc pensé, fatal maître,
    Qu'à force de te contempler,
    Je ne voyais plus ce doux être,
    Et qu'il pouvait bien s'en aller ?

    T'es-tu dit que l'homme, vaine ombre,
    Hélas! perd son humanité
    A trop voir cette splendeur sombre
    Qu'on appelle la vérité ?

    Qu'on peut le frapper sans qu'il souffre,
    Que son coeur est mort dans l'ennui,
    Et qu'à force de voir le gouffre,
    Il n'a plus qu'un abîme en lui ?

    Qu'il va, stoïque, où tu l'envoies,
    Et que désormais, endurci,
    N'ayant plus ici-bas de joies,
    Il n'a plus de douleurs aussi ?

    As-tu pensé qu'une âme tendre
    S'ouvre à toi pour se mieux fermer,
    Et que ceux qui veulent comprendre
    Finissent par ne plus aimer ?

    Ô Dieu ! vraiment, as-tu pu croire
    Que je préférais, sous les cieux,
    L'effrayant rayon de ta gloire
    Aux douces lueurs de ses yeux ?

    Si j'avais su tes lois moroses,
    Et qu'au même esprit enchanté
    Tu ne donnes point ces deux choses,
    Le bonheur et la vérité,

    Plutôt que de lever tes voiles,
    Et de chercher, coeur triste et pur,
    A te voir au fond des étoiles,
    Ô Dieu sombre d'un monde obscur,

    J'eusse aimé mieux, loin de ta face,
    Suivre, heureux, un étroit chemin,
    Et n'être qu'un homme qui passe
    Tenant son enfant par la main !

    Maintenant, je veux qu'on me laisse !
    J'ai fini ! le sort est vainqueur.
    Que vient-on rallumer sans cesse
    Dans l'ombre qui m'emplit le coeur ?

    Vous qui me parlez, vous me dites
    Qu'il faut, rappelant ma raison,
    Guider les foules décrépites
    Vers les lueurs de l'horizon ;

    Qu'à l'heure où les peuples se lèvent
    Tout penseur suit un but profond ;
    Qu'il se doit à tous ceux qui rêvent,
    Qu'il se doit à tous ceux qui vont !

    Qu'une âme, qu'un feu pur anime,
    Doit hâter, avec sa clarté,
    L'épanouissement sublime
    De la future humanité ;

    Qu'il faut prendre part, coeurs fidèles,
    Sans redouter les océans,
    Aux fêtes des choses nouvelles,
    Aux combats des esprits géants !

    Vous voyez des pleurs sur ma joue,
    Et vous m'abordez mécontents,
    Comme par le bras on secoue
    Un homme qui dort trop longtemps.

    Mais songez à ce que vous faites !
    Hélas! cet ange au front si beau,
    Quand vous m'appelez à vos fêtes,
    Peut-être a froid dans son tombeau.

    Peut-être, livide et pâlie,
    Dit-elle dans son lit étroit :
    «Est-ce que mon père m'oublie
    Et n'est plus là, que j'ai si froid ?»

    Quoi! lorsqu'à peine je résiste
    Aux choses dont je me souviens,
    Quand je suis brisé, las et triste,
    Quand je l'entends qui me dit : «Viens !»

    Quoi! vous voulez que je souhaite,
    Moi, plié par un coup soudain,
    La rumeur qui suit le poëte,
    Le bruit que fait le paladin!

    Vous voulez que j'aspire encore
    Aux triomphes doux et dorés !
    Que j'annonce aux dormeurs l'aurore !
    Que je crie : «Allez ! espérez !»

    Vous voulez que, dans la mêlée,
    Je rentre ardent parmi les forts,
    Les yeux à la voûte étoilée...
    -- Oh ! l'herbe épaisse où sont les morts ! 


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  • La voix dans la nuit

     

    Un modeste bouquet, violettes de Parme,

    Un hommage au silence après Monteverdi.

    Le chant s’est arrêté, mais l’écho le redit :

    Une offrande, un soupir, le bouquet de nos larmes.

     

    Que revienne le chant dans le fracas des armes,

    Les jurons des soudards, les tueries des bandits,

    Solstice de l’horreur, incendie de midi,

    Plus haut que le vacarme, incantation du charme !

     

    Plus terribles les cris et plus pure la voix.

    Je ne sais quel espoir encore au fond de moi

    Veut donner à la voix l’écho qui la prolonge.

     

    Ce combat dans la nuit n’aura jamais de fin.

    Je n’ai que cette voix, ces fleurs et leur parfum ;

    Ne me réveillez pas, je n’appartiens qu’au songe.

     

    Le visage de l’ange.

     


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  • D'un caractèr' trés bon

     Je fais la mule et le sabot

     Et pour Achille les talons

     Sans rien connaitre des chevaux;

     Pour toute ma clientèle

     J'ai un pied beau à mon enseigne

     Pour qu' bientôt les cul-de-jatte

     Viennent chez moi en toute hâte.

     Je chausse ainsi avec malice

     Le pied de grue, le pied de biche

     En me riant d'un pied de nez 

    De toutes les difficultés.

     Je fais un métier qui me botte

     Et que jamais je ne sabote;

     Et en poète cordonnier,

     J'aim' les octo pour leurs huit pieds.

     

    En ch'ville avec chacun,

     J'ai un pied dans tout's les affaires:

     Q'il soit anglais ou bien marin

     J'les connais tous même sous terre.

     Des pieds, yen a en paquet:

     Des pieds d' veau, des pieds d' cochon

     Yen a qui en sont trés gourmets

     Mais moi j'en ai l'indigestion.

     Lors pour mon steak que j'aime tendre

     Je me mets au pas, à vos pieds,

     Et tapant du pied sans attendre

     Je bats la s'mell' de vos souliers.

     Je fais un métier qui me botte

     Et que jamais je ne sabote;

     Lors en cordonnier chansonnier,

     J' ficell' des poèm's de huit pieds.

     

    Je fais des pieds, non des mains

     Ça suffit à mon turbin

     Grâce à moi les psychopathes

     Sont bien dans leurs godasses;

     Je prends tout au pied de la lettre,

     Je suis à pied d'oeuvre et mon maître

     Me fait du zèl' sans ambition

     Pour rester dans mes p'tits chaussons.

     Je fais un métier qui me botte

     Et que jamais je ne sabote;

     Lors en poète cordonnier,

     J'aim' les octo pour leurs huit pieds.

     Je fais un métier qui me botte

     Et que jamais je ne sabote;

     Lors en poète cordonnier,

     J'ficell' des poèm's de huit pieds.

     

     


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  • Quand tes beaux pieds distraits errent, ô jeune fille, 

     

    Sur ce sable mouillé, frange d'or de la mer, 

     

    Baisse-toi, mon amour, vers la blonde coquille 

     

    Que Vénus fait, dit-on, polir au flot amer.

     

     

     

    L'écrin de l'Océan n'en a point de pareille ; 

     

    Les roses de ta joue ont peine à l'égaler ; 

     

    Et quand de sa voluté on approche l'oreille, 

     

    On entend mille voix qu'on ne peut démêler.

     

     

     

    Tantôt c'est la tempête avec ses lourdes vagues, 

     

    Qui viennent en tonnant se briser sur tes pas ; 

     

    Tantôt c'est la forêt avec ses frissons vagues ; 

     

    Tantôt ce sont des voix qui chuchotent tout bas.

     

     

     

    Oh ! ne dirais-tu pas, à ce confus murmure 

     

    Que rend le coquillage aux lèvres de carmin, 

     

    Un écho merveilleux où l'immense nature 

     

    Résume tous ses bruits dans le creux de ta main ?

     

     

     

    Emporte-la, mon ange ! Et quand ton esprit joue 

     

    Avec lui-même, oisif, pour charmer tes ennuis, 

     

    Sur ce bijou des mers penche en riant ta joue, 

     

    Et, fermant tes beaux yeux, recueilles-en les bruits.

     

     

     

    Si, dans ces mille accents dont sa conque fourmille, 

     

    Il en est un plus doux qui vienne te frapper, 

     

    Et qui s'élève à peine aux bords de la coquille, 

     

    Comme un aveu d'amour qui n'ose s'échapper ;

     

     

     

    S'il a pour ta candeur des terreurs et des charmes ; 

     

    S'il renaît en mourant presque éternellement ; 

     

    S'il semble au fond d'un cœur rouler avec des larmes ; 

     

    S'il tient de l'espérance et du gémissement…

     

     

     

    Ne te consume pas à chercher ce mystère ! 

     

    Ce mélodieux souffle, ô mon ange, c'est moi ! 

     

    Quel bruit plus éternel et plus doux sur la terre, 

     

    Qu'un écho de mon cœur qui m'entretient de toi ?

     

     

     

     

     

     

     

    Alphonse de Lamartine. 

     

     

     

     


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  • La chasse au brochet

     

    J’ai vu parfois dans l’ombre glisser des brochets.

     Ils ont l’air taciturne des seigneurs de la guerre

     reîtres ils aimeraient passer pour condottiere

     et hantent les bas-fonds en tenue de soirée.

     

    J’ai vu dans les salons ces êtres à sang-froid

     louvoyer et glisser entre de hautes herbes

     coupantes qui ondulent, femmes maîtresses, serves

     en robes de lamé, et fondre sur leur proie.

     

    J’ai vu par bancs glisser le long des verticaux

     aquariums aux parois dures de verre teinté

     où des salariés tombent, daphnies en suspension,

     les brochets en costumes des grands sièges sociaux.

     

    Ils vont aux Baléares ou l’été à Saint-Trop’,

     passent leurs nuits en boîte, hantent les champs de courses.

     Gardant toujours un œil sur les cours de la Bourse,

     ils se croisent en vol, d’Amérique en Europe.

     

    Les brochets ont du goût pour les poissons modestes ;

     c’est avec une classe qui fait la différence,

     d’une dent distinguée, feignant l’indifférence

     qu’ils déchirent leurs chairs et négligent leurs restes.

     

    Et, même si souvent d’ordinaires mulets

     qui paissent en banlieue se rêvent leurs émules

     et font dans les affaires, la chose est ridicule ;

     il y a un monde entre eux et celui des brochets.

     

    La nature est ainsi ; n’est pas brochet qui veut.

     Il faut une mâchoire inférieure en avant,

     l’air sombre et dans la bouche pas moins de sept cents dents.

     (Ces atouts, en principe, s’héritant des aïeux).

     

    Mais il faut au brochet rendre cette justice ;

     ce carnassier maussade peut être aussi très bon

     au vin blanc, à la crème, au beurre et au citron,

     sur un lit de fenouil, voire avec un pastis…

     

    Je me souviens – il y a, j’espère, prescription

     nous étions jeunes alors et nous n’avions pas d’arc ;

     des brochets sévissaient dans le bassin d’un parc

     et nous tirions dessus au pistolet à plomb.

     

    C’était dans un château qui dominait la plaine

     de sa claire terrasse ou nous nous reposions

     (tout en nous préparant pour la révolution)

     et tirant les brochets, nous agissions sans haine…

     

    Revanche des vilains sur la loi des seigneurs,

     le braconnage hélas est un art qui se perd.

     C’est je crois autrement qu’il faudra qu’on opère

     et à une autre échelle, contre ces prédateurs…

     

     

     

     

     

     

     


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  • Le Printemps

    Le soleil faisait craquer les derniers et tardifs bourgeons des chênes sous la pression chaude de ses rayons. Les verdures se nuançaient à l'infini.

    C'était une symphonie de couleurs allant du cri violent des verts aux pâleurs mièvres des rameaux inférieurs, dont les feuilles tendres, aux épidermes délicats et ténus n'avaient pas encore reçu le baptême ardent de la pleine lumière, bu la lampée d'or des rayons chauds, car leur oblique courant n'avait pu combler jusqu'alors que les lisières privilégiées et les faîtes victorieux.

    Mais ce jour-là, une vie multiple et grouillante, végétale et animale, sourdait de partout, des crépitements des insectes et du chant des oiseaux à l'éclatement des bourgeons et au gonflement des rameaux, craquant dans l'air vibrant comme des muscles qui s'essaient.

    Louis Pergaud

     


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  • Bonjour

    Comme un diable au fond de sa boîte,

    le bourgeon s'est tenu caché ...

    mais dans sa prison trop étroite

    il baille et voudrait respirer.

    Il entend des chants, des bruits

    d'ailes,

    il a soif de grand jour et d'air ...

    il voudrait savoir les nouvelles,

    il fait craquer son corset vert.

    Puis, d'un geste brusque, il déchire

    son habit étroit et trop court

    "enfin, se dit-il, je respire,

    je vis, je suis libre ... bonjour !"

          Paul Geraldy


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  • Le tricot de ma vie

    La vie, c'est comme un tricot... Dieu me donne la laine et les aiguilles et il me dit: "Tricote de ton mieux, une maille à la fois." Une maille, c'est une journée sur l'aiguille du temps. Il y a 30 ou 31 mailles... Après 12 rangées de tricot, j'ai 365 mailles et... En 10 ans, 3650 mailles... 

    Quelques-unes sont tricotées à l'endroit, D'autres à l'envers. Il y a aussi des mailles échappées... Mais, on peut les reprendre. 

    J'ai déjà plus de 20 000 mailles et plus de 600 rangées de tricot... Dieu seul sait quelle sera la longueur du "foulard" de ma vie! La laine que Dieu nous donne pour tricoter notre vie est de toutes les couleurs: rose comme nos joies, noire comme nos peines, grise comme nos doutes, verte comme nos espérances, rouge comme nos amours, blanche comme notre don total au Dieu que nous aimons! 

    Père, donne-moi le courage de terminer mon "Tricot" afin que tu le trouves digne de l'exposition éternelle des travaux de mes frères et de mes sœurs.

     


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  • Vêtue d’une robe orientale rouge de velours
    Des broderies transparentes et pétillantes
    Dans laquelle mon corps affolé de tambours,
    Répondant au chant des orchidées fourmillantes,



    Je dansais dans leur jardin de l’amour,
    Infiltrant dans mon cœur un nouveau dogme ;
    Toute une énergie solaire d’un éternel jour
    Qui effaça tout souvenir d’une lumière blême.



    Les doux parfums et les chants s’entremêlèrent,
    S’entrelacèrent dans les pages de mon esprit
    Pour fêter délicieusement une fête d’anniversaire
    Du vrai amour soignant mon coeur endolori.



     

    Ô Belles Orchidées d’Amour, coeurs vermeils,
    Les plus beaux trésors des Mille et une nuits,
    M‘enivrant de merveilles et de brillants soleils
    Vous avez su ôter ma lassitude et mes ennuis.



    Belles Orchidées ! je ne vous ai pas cherchées,
    Mais vous avez retiré mon âme de l’air mortel
    Pour un conte de fée tiré des vies cachées
    Dans un rêve inhabituel, exquis et sensuel.



    Moi qui vis sur la terre une des humbles vies,
    Me prouvez-vous que je vaux quelque chose
    Pour être avec vous, Vous les Dames Bénies ;
    Moi, qui ne suis qu’une mortelle comme la rose.



    Fleurs étincelantes d'éclat de tous vos charmes,
    Qu’avez-vous à m’octroyer une telle prédilection
    De m’accepter dans vos coeurs magnanimes,
    Dans l'Empyrée pour une telle évocation ?



    Ô belles Orchidées, votre charme me désarme,
    Quelle belle sensation sous vos airs de dentelle !
    Je me sens libre, leste et entière dans mon âme
    Comme vous qui vivez dans une vie éternelle.


    Ô orchidées de l’amour, vous me narguez !
    En tendant vers moi vos étoiles luisantes,
    Vous m’ensorcelez, vous me rendez très gaie
    En m’attirant dans ces clartés fulgurantes.



    Quelle sensation d’une énergie sensuelle !
    Quand j’ai senti en moi cette chaleur pourpre
    D’une flamme folle exceptionnelle et charnelle
    Qui ne souille pas l’âme mais le rend propre !


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  • Le printemps de François-René de Chateaubriand

     

    Nuit de printemps

    Le ciel est pur, la lune est sans nuage :
    Déjà la nuit au calice des fleurs
    Verse la perle et l'ambre de ses pleurs ;
    Aucun zéphyr n'agite le feuillage.
    Sous un berceau, tranquillement assis,
    Où le lilas flotte et pend sur ma tête,
    Je sens couler mes pensers rafraîchis
    Dans les parfums que la nature apprête.
    Des bois dont l'ombre, en ces prés blanchissants,
    Avec lenteur se dessine et repose,
    Deux rossignols, jaloux de leurs accents,
    Vont tour à tour réveiller le printemps
    Qui sommeillait sous ces touffes de rose.
    Mélodieux, solitaire Ségrais,
    Jusqu'à mon cœur vous portez votre paix !
    Des prés aussi traversant le silence,
    J'entends au loin, vers ce riant séjour,
    La voix du chien qui gronde et veille autour
    De l'humble toit qu'habite l'innocence.
    Mais quoi ! déjà, belle nuit, je te perds !
    Parmi les cieux à l'aurore entrouverts,
    Phébé n'a plus que des clartés mourantes,
    Et le zéphyr, en rasant le verger,
    De l'orient, avec un bruit léger,
    Se vient poser sur ces tiges tremblantes.

    François-René de Chateaubriand (1768-1848) ("Tableaux de la nature")


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  • C’était un lieu paisible où j’aimais à venir.

     La fraîche vision hante mon souvenir.

     Enclos de trois côtés par de hautes collines,

     Le val s’ouvre au couchant et descend vers la mer.

     Une cascade, au fond, de ses eaux cristallines

     Baigne les rochers noirs, éparpillant dans l’air

     Sa poussière d’écume en blanches mousselines.

     Au pied des rocs abrupts, dans sa chute sans fin,

     L’eau tombe et s’élargit en un vaste bassin,

     Où s’alimente et dort la rêveuse rivière

     Sainte-Suzanne, aux grands berceaux de cocotiers.

     Le soleil au zénith y darde sa lumière ;

     Mais, dans l’après-midi, les monts aux pics altiers

     Y versent les fraîcheurs d’une ombre hospitalière.

     Des hauts bambous du bord quittant l’épais rideau,

     Sur la nappe d’azur nagent les poules d’eau ;

     Et, les frôlant du vol, la véloce hirondelle

     Autour des bleus nageurs s’ébat aux jeux de l’aile.

     Sur les marges de l’onde errent en liberté

     Quelques bœufs indolents, et sur la rive herbeuse

     Promènent au hasard leur nonchalance heureuse.

     Plus loin un taureau blanc et de brun moucheté,

     Dans la brousse couché, humant la brise agreste,

     Les yeux à demi clos, rumine et fait la sieste.

     Là-haut, entre les rocs rudement étagés,

     Hérissés de cactus, de lianes chargés,

     D’un pied nerveux et sûr que nul gouffre n’arrête,

     Grimpe la chèvre alerte aux bonds capricieux.

     Tout à coup on la voit qui, debout sur la crête

     D’où tombe la cascade à flots vertigineux,

     Profile sur le ciel sa noire silhouette.

     

    Sur la rive opposée, à gauche du ravin,

     L’eau du tranquille étang court sur le sable fin

     Que borde un frais talus d’herbe tendre et de mousses.

     Ici, les flancs du mont ont des rampes plus douces,

     Et les arbres à fruit au soleil exposés

     Épandent leurs berceaux sur les versants boisés :

     Dans l’obscure épaisseur de ses fortes ramures

     Le tronc noir du manguier montre ses grappes mûres ;

     Le goyavier aux fleurs blanches, aux fruits dorés,

     La souple grenadille aux pétales pourprés,

     L’atte et le bibacier, pittoresque assemblage,

     Dans un même parfum confondent leur feuillage.

     L’oiseau bleu de la Vierge aux instincts familiers,

     L’inoffensif oiseau des monts hospitaliers

     Se plaît dans cette ombreuse et tiède solitude :

     Furtif, il guette et suit les pas du voyageur

     Qui vient sur ces plateaux, indolent et songeur,

     Respirer des hauts lieux la vaste quiétude.

     Des pentes du ravin, des monts, des bois épais,

     De toute part descend une ineffable paix,

     Le charme enveloppant d’un lumineux silence,

     De ce silence fait de bruits d’ailes et d’eaux

     Passant dans l’air, montant des joncs et des roseaux,

     Et des bambous lustrés qu’un vent léger balance.

     

    O calme des sommets, calme du firmament,

     Qui dans les cœurs troublés versez l’apaisement,

     Calme des bois profonds où de la tourterelle

     Le roucoulement vague au chant des eaux se mêle ;

     O ravine, ô cascade, ô murmure berceur,

     Des fleurs et du feuillage, ambiante douceur ;

     O repos émanant des choses, chaste ivresse

     Que connût autrefois ma pensive jeunesse

     Quand, promenant mon rêve en ces rochers déserts,

     J’écoutais dans mon cœur chanter l’esprit des vers ;

     Solitude sereine et digne de la Muse,

     Faite de brise et d’ombre et de lueur diffuse ;

     Flottantes visions de mon pays lointain,

     Beaux lieux, ô lieux si doux à mon heureux matin,

     Vallon, étang placide aimé de l’hirondelle,

     Qu’évoque avec amour le souvenir fidèle,

     Bercez dans mon esprit que la vie a blessé

     Les troubles du présent des calmes du passé !

     

    Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages

     


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  • Les bois vont refleurir. Des gouttes de verdure

    Déjà tremblent au bout des rameaux dépouillés,

    Et les bourgeons bientôt, voilant l’écorce dure,

    S’ouvriront au soleil, de sève encor mouillés.

     

    D’un long sommeil la terre en souriant s’éveille ;

    Tout en elle est tiédeurs, rougeurs, troubles charmants.

    Les jours vont grandissant : de la saison vermeille

    On voit partout flotter de frais pressentiments.

     

    Les vents passent chargés de promesses secrètes ;

    L’oiseau ne chante point encor ; sur les buissons

    Point de fleurs; mais déjà rossignols et poètes

    Sentent monter en eux la sève des chansons.

     

    Des gais soleils d’avril voici l’heure première.

    Avril, c’est le printemps dans sa virginité.

    L’air est d’un bleu profond, suave est la lumière ;

    Un sang jeune sourit au front de la beauté.

     

    Bientôt les bois naissants, les mousses, les fougères

    Feront un dais mobile au cours chantant des eaux ;

    Et les vents berceront sur leurs ailes légères

    Dans les lilas en fleur l’hymne heureux des oiseaux.

     

     

     

    Bientôt se cueilleront les prémices des choses :

     

    L’alouette dans l’air dira les jeunes blés,

     

    Et le bouvreuil muet, caché parmi les roses,

    Couvera les œufs blonds sous sa plume assemblés.

     

    Qu’un autre, après l’hiver, chante sa délivrance !

    Qu’il dise, ô mois de Mai, ton retour souhaité !

    Pour moi, je chante Avril ! Avril, c’est l’espérance,

    Avant qu’on ait souffert, avant qu’on ait douté !

     

    Mois aimé, tu marquas dans ma verte jeunesse ;

    Du bonheur je te dois les rêves infinis.

    Qu’importe que la vie ait trahi leur promesse !

    Pour mes espoirs défunts, Avril, je te bénis.

     

     

     

    Auguste Lacaussade

     

     

     

      ~~ Soleil d'avril ~~ de  A. Lacaussade

     


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  • Poète ! ta ferveur fait grande ta mémoire.

     Absorbé tout entier dans ton culte béni,

     Tu préféras la Muse à tout, même à la gloire,

     Maître ! qui dans ton art égalas Cellini.

     

    Amours, honneurs, trésors, tout ce que l’homme envie,

     Moins qu’un beau vers touchaient ton cœur épris du beau.

     A tout indifférent, tu passas dans la vie

     L’âme et les yeux fixés sur l’idéal flambeau.

     

    Tu ne savais rien voir qu’au jour de sa lumière ;

     Tu voulais beau le bien et belle la vertu.

     Diamant affranchi de sa gangue première,

     Le vrai ne te charmait que de beauté vêtu.

     

    Des rythmes d’or portant allègrement la chaîne,

     Tu ciselais en vers ton rêve et ton ardeur.

     Ton esprit pur de fiel ne connut qu’une haine,

     Cette haine du Mal que trahit sa laideur.

     

    Comme l’abeille au lys, l’expression heureuse,

     Rimes et mots ailés, accourait à ta voix.

     L’image éblouissait dans ta strophe nombreuse,

     Mes mètres se teignaient de pourpre sous tes doigts.

     

    Le nombre et la couleur, le rythme au long vocable

     Épousaient dans ton vers la ligne au fier contour.

     La forme avait ton culte, ô poète impeccable !

     Et de ses dons la forme a payé ton amour.

     

    Artiste exquis, tu fus un ouvrier modèle :

     Patient, obstiné, tendant sans cesse au mieux,

     Ta pensée et ton cœur, sous ton pinceau fidèle,

     En de vivants tableaux se traduisaient aux yeux.

     

    Ta parole peignait ; pour toi l’inexprimable

     N’existait pas ; les mots t’obéissaient, soumis.

     Mais sévère à toi seul, Maître ! ta force aimable

     Accueillait tout effort de ses bravos amis.

     

    Dans tes savantes mains la plume du critique

     Conseillait sans blesser. Ta clémente équité

     Savait mêler l’éloge au blâme sympathique :

     Tu fus doux dans ta force et grand dans ta bonté.

     

    Et tu pars, et la tombe a clos ta destinée ;

     Mais de la lice au moins tu sors ayant vaincu.

     Tu peux croiser tes bras, ton œuvre est terminée,

     Maître ! et tu n’es pas mort, toi, sans avoir vécu !

     

    Comme un fleuve dont l’eau féconde au loin les plages,

     Pars du sol des vivants sans remords ni regrets :

     Tu laisses après toi d’harmonieux feuillages ;

     L’oiseau du souvenir chante dans ton cyprès.

     

    La Muse romantique au front ceint d’hyacinthe,

     Évoquant en son deuil les chants où tu survis,

     Debout, veille sur toi, dans l’attitude sainte

     D’une mère pleurant au tombeau de son fils.

     

    Près d’elle je viendrai dans mes ferveurs discrètes

     Méditer sur ta tombe, au pied des saules verts ;

     Et, visiteur pieux, sur tes cendres muettes,

     Fleurs d’un cœur qui t’aima, j’effeuillerai mes vers.

     

    Auguste Lacaussade, Les Automnales (1876)

     

     


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  • Je n’ai songé qu’à toi, ma Belle, l’autre soir.

     Quelque chose flottait de tendre dans l’air noir,

     Qui faisait vaguement fondre l’âme trop pleine.

     Je marchais, on eût dit, baigné dans ton haleine.

     Les souffles qui passaient semblaient rouler dans l’air

     Un souvenir obscur et tiède de ta chair.

     J’aurais voulu t’avoir près de moi, caressante,

     Appuyée à mon bras dans ta grâce enlaçante,

     Et lente et paresseuse, et retardant le pas

     Pour me baiser sans bruit comme on parle tout bas.

     L’amour vibrait en moi comme un clavier qu’on frôle

     Ô câline d’amour bercée à mon épaule !

     Et je t’évoquais toute avec ton grand manteau,

     Et la touffe de fleurs tremblante à ton chapeau,

     Et tes souliers vernis luisant dans la nuit sombre,

     Et ton ombre au pavé fiancée à mon ombre.

     Il est ainsi des soirs faits de douceur qui flotte,

     De beaux soirs féminins où le coeur se dorlote,

     Et qui font tressaillir l’âme indiciblement

     Sous un baiser qui s’ouvre au fond du firmament.

     

    Tes yeux me souriaient… et je marchais heureux

     Sous le ciel constellé, nocturne et vaporeux,

     Pendant que s’entr’ouvrait, blancheur vibrante et pure,

     Mon âme – comme un lys ! – passée à ta ceinture.

     

    Albert Samain.

     

    ps: suis en travaux dans mon appartement.....grrrr

     


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  • Blotti comme un oiseau frileux au fond du nid,

    Les yeux sur ton profil, je songe à l’infini...

     

    Immobile sur les coussins brodés, j’évoque

    L’enchantement ancien, la radieuse époque,

    Et les rêves au ciel de tes yeux verts baignés !

     

    Et je revis, parmi les objets imprégnés

    De ton parfum intime et cher, l’ancienne année

    Celle qui flotte encor dans ta robe fanée...

     

    Je t’aime ingénument. Je t’aime pour te voir.

    Ta voix me sonne au coeur comme un chant dans le soir.

    Et penché sur ton cou, doux comme les calices,

    J’épuise goutte à goutte, en amères délices,

    Pendant que mon soleil décroît à l’horizon

    Le charme douloureux de l’arrière-saison.

     

    Albert Samain

     

    ps: suis en travaux dans mon appartement....grrrrr


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  • Le meilleur moment des amours

     N’est pas quand on a dit : « Je t’aime. »

     Il est dans le silence même

     A demi rompu tous les jours ;

     

    Il est dans les intelligences

     Promptes et furtives des cœurs ;

     Il est dans les feintes rigueurs

     Et les secrètes indulgences ;

     

    Il est dans le frisson du bras

     Où se pose la main qui tremble,

     Dans la page qu’on tourne ensemble

     Et que pourtant on ne lit pas.

     

    Heure unique où la bouche close

     Par sa pudeur seule en dit tant ;

     Où le cœur s’ouvre en éclatant

     Tout bas, comme un bouton de rose ;

     

    Où le parfum seul des cheveux

     Parait une faveur conquise !

     Heure de la tendresse exquise

     Où les respects sont des aveux.

     

    Sully PRUDHOMME

     

     

     


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  • Quoique nous le voyions

    Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux

    Ce jardin clair où nous passons silencieux,

    C'est plus encor en nous que se féconde

    Le plus candide et doux jardin du monde.

    Car nous vivons toutes les fleurs,

    Toutes les herbes, toutes les palmes

    En nos rires et en nos pleurs

    De bonheur pur et calme.

    Car nous vivons toute la joie

    Dardée en cris de fête et de printemps,

    En nos aveux où se côtoient

    Les mots fervents et exaltants.

    Oh! dis, c'est bien en nous que se féconde

    Le plus joyeux et doux jardin du monde

    Emile Verhaeren


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  • Au printemps

    Regardez les branches

    Comme elles sont blanches !

    Il neige des fleurs.

    Poème de Théophile Gautier

    Riant dans la pluie,

    Le soleil essuie

    Les saules en pleurs

    Et le ciel reflète,

    Dans la violette

    Ses pures couleurs...

    La mouche ouvre l'aile

    Et la demoiselle

    Aux prunelles d'or,

    Au corset de guêpe

    Dépliant son crêpe,

    A repris l'essor.

    Le goujon frétille

    Un printemps encore !

    Théophile Gautier


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  •  

    Un petit oeil jaune

    tout jaune

    - c'est la primevère,

    la première.

    Un petit oeil blanc

    très franc

    - c'est la pâquerette

    mignonnette.

    Un petit oeil bleu,

    malicieux

    - c'est le myosotis

    tout fleuri.

    Un oeil de satin

    quel malin !

    - c'est la violette

    qui me guette.

    anonyme


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  • Le papillon

     

    Le papillon qui s’éveille

    Et sort de sa chrysalide

    Aux rayons qui l’ensoleille

    Chauffe ses ailes humides.

     

    En les déployant ses ailes

    Brillent de teintes variées

    Qui au soleil étincèlent

    En ocelles colorées.

     

    Puis insouciant il volète

    Visitant chaque corolle

    Pour y butiner des miettes

    De pollen dont il raffole.

     

    Il inspecte ainsi la flore

    Arrive en valses légères

    Au buddleia (1) qu’il adore

    Pour ses senteurs printanières.

     

    En voltigeant il explore

    Chaque espèce florifère.

    Heureusement il ignore

    Sa destinée éphémère

     

    (1) Le buddleia, appelé également "arbre à papillons" et "lilas d'été" est un buisson d'ornement qui se couvre de fleurs colorées.

    Robert Calmels

    Le papillon

     


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